oogre / bombe-de-graine

À l’attention de tous,
pour une floraison
de l’ESA St Luc Liège

ceci est une bombe de graines

Une portion d’argile en poudre,
Trois portions de terreau,
Des graines et un peu d’eau.


À première vue, une fois confectionnées, les bombes ressemblent
à des crottes de chèvres. Il s’agit pourtant d'une recette ancestrale
et explosive pour planter dans des endroits difficiles d’accès, et aussi pour
amener de la biodiversité dans des zones sinistrées.
...Laissez sécher deux jours et puis lancez dans des espaces désolés.

C'est un choix à première vue douteux pour commencer une lettre de démission.
Pourtant, je ne pouvais me satisfaire de ce format littéraire
trop simplement informatif. C'est pourquoi, j'ai souhaité adapter
à ma sauce cette pratique, en y incorporant une métaphore
aux allures fécales mais aux propriétés fécondes,
et amusante de surcroît.


Je suis assistant pour le cours d'image numérique du master en
Communication Visuelle et Graphique depuis 5 ans. Je ne signerai
pas le prochain contrat que l'école me propose. Je n'enseignerai pas
à l'ESA St Luc Liège durant cette année 22-23.
Premièrement, pour des raisons personnelles et heureuses qui ne
trouvent pas l'espace entre ces lignes pour être développées.
L'écriture de ce texte est ensuite motivée par de multiples raisons
que je vais soigneusement transformer en graines et disséminer
dans cet assemblage de lettres, d'argile et de terreau.
Afin, je l'espère, que cette institution chère à mon cœur puisse un jour,
si telle est son ambition,
faire germer le plein potentiel des étudiant·e·s qui la côtoient.


Une école d'art ne doit jamais être à l'image de la société.
Nous sentons jour après jour, épidémies après pénuries, conflits, guerres,
enjeux de pouvoir absurde et politique de désertification du monde
que tout doit changer. Nous sommes dans un moment où il est devenu capital
de construire et promouvoir de nouvelles narrations.
Spéculation, Médication et Sécurisation incarnent une trinité
qui a presque tout dévoré. Essayer de produire la vision d'un horizon enviable
est l'enjeu de la décennie pour les artistes de tous bords.
Au travers de mots, d'images et de sons, nous avons la charge
de nourrir les imaginaires, les rêves et donc les projets de demain.
Nos histoires doivent avoir au moins cette ambition, sans quoi,
l'art est mort avec dix ans d'avance sur nos espoirs fragiles d'un avenir heureux.
Chaque personne ne courant que pour son confort et sa tranquillité
se prive de son pouvoir d'action à transformer la société,
sur ce chemin c'est Dépression qui gagne à la fin.

Dans une école d'art, il n'y a pas de lieu clos,
certainement pas de salle de classe. Aucune personne
n'est dépositaire d'un savoir absolument supérieur qui,
nommé par le très haut, a la lourde tâche de répandre son savoir.

Il n'y a que des ateliers où, ensemble, nous nous salissons les mains
pour arriver à un but dont nous avons discuté en amont.
Rendre nos idées matérielles pour les partager est ce que nous faisons.
Atelier est le nom des endroits où on fabrique, on forge, on se brûle.
Nous nous y confrontons à la rudesse du monde. C'est un lieu dangereux,
où nous nous sentons vivre car nous y prenons des risques. Il s'agit
d'une terre inconnue dans laquelle certe le ou la plus expérimenté·e
parle le plus. Mais bien vite, les nouvelles questions amenées
par l'ignorance et l'originalité des points de vue des jeunes
nécessitent de tout réinventer, réorganiser et recommencer.

Ces ateliers d'art, ne peuvent de surcroît n'avoir que des portes ouvertes,
afin d'accueillir le plus souvent possible la badaude et le chaland
venu voir le monde. Car, la seule et unique tâche d'un·e artiste
est de rendre le monde visible. C'est dans ce sens qu'elle ou il
justifie sa pratique, son existence.


C'est je pense au travers de cet argumentaire,
l'activité la plus noble qu'il soit de faire tourner la baraque
de s'occuper de l'entretien, des contrats, des conflits et des repas.
Ces acteurs·ices sont l'argile de ma bombe de graines.
Sans vous, l'institution s'effondre, vous êtes les murs si précieux
pour qui cherche à afficher son œuvre.
À la tête de l'institution, ne devrait se trouver que quelques gouttes d'eau
qui, par capillarité, se retrouveraient partout liant, canal et transparent
permettant le passage d'un atome à l'autre.
Solvant ultime indispensable au vivant.

Le terreau est constitué des enseignant·e·s,
ils et elles ont vu le monde, en ont gardé des histoires
et des petits morceaux. Elles ont été arbres, pommes et graines.
Tout ça à la fois. Dans le rôle qui est le leur
il n'y a que Partage, Expérience et Folie. Ce sont les chamans
de rites primordiaux appelé Culture, cette magie qui transforme
par la danse les rivières de larmes en fontaines de rires.

Nos graines parfois vues comme des pépins c'est l'avenir.
Quoi qu'il arrive, quoi qu'on leur montre, quoi qu'on leur donne à manger
elles germeront c'est certain. C'est alors qu'elles raconteront
là d'où elles viennent.


Il est encore un peu tôt pour être fière de ce sol que nous leur fournissons.
Celui-ci est cabossé, instable, sûrement encore irradié
de la dernière guerre de pouvoir.
Il y a du travail à accomplir, de la passion à engager,
du confort à procrastiner pour faire vivre dans notre institution
Joie, Partage et Créativité.
Il est préférable d'attendre un jour de pluie au printemps
pour larguer vos bombes de graines. Au terme de ce courrier,
c'est sur ce point que ma métaphore tombe à l'eau.
Puisse-t-elle fleurir, vous inspirer,
ouvrir le paysage vers une perspective enviable,
motiver chacun pour cette année scolaire riche de beaucoup d'aventures.


Lettre écrite le 26 Août 2022,
Respectueusement et avec Amour
par Vincent Evrard